Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Christian Potin Consultant intermittent du Développement Inégal
Newsletter
60 abonnés
Archives
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 251 766
26 juillet 2012

Néo paysanneries Algériennes en recomposition - Christian Potin, 2007

L’individu et ses sphères identitaires composites chez les néo paysanneries Algériennes en recomposition

En deçà des références identitaires larges de nationalité, de religion, d’arabophonie, de berbérophonie, de francophonie, l’individu s’identifie et est identifié bien entendu, comme dans tous les pays du monde,  par rapport à des critères socio-biologiques objectifs de sexe, d’âge, de couleur de peau, de filiation au premier niveau. Les critères de sexe et d’âge sont discriminatoires pour sa condition sociale, ses pratiques d’espace et ses niveaux de responsabilité. Sa filiation identitaire ou parenté sociale est définie agnatiquement par rapport à la lignée mâle ou patrilignage, secondairement par rapport au patrilignage de sa mère.

C’est sur ces bases structurelles et structurales de références que s’effectue le système anthropologique de reproduction familiale et des interdits de mariage ou au contraire de mariage préférentiel, d'affinités et de liens sociaux élémentaires, qui se projètent en partie sur l'occupation et la gestion sociale de l'espace agraire et des territoires englobant.

Mais il faut bien retenir que, du point de vue de la théorie socio-politique et de l'anthropologie culturelle, entre les niveaux identitaires larges et les niveaux rapprochés projetés sur l'espace agraire, interviennent d'autres niveaux identitaires correspondant à un sentiment d’appartenance à des catégories et des groupes sociaux plus qu’à des identités directes par rapport à des espaces et des territoires physiques. Ces espaces, catégories ou groupes sociaux ont bien sur des projections sur des espaces physiques ou terroirs à statut foncier variable, terrains de propriété privée titrée ou melk, domaniaux agricoles, collectifs tribaux (arch), plus ou moins résiduels, parcours pastoraux, domaines forestiers, etc.

Ainsi on peut se déclarer tour à tour, selon le lieu, le moment et l’interlocuteur, être le fils de X, de telle fraction ou lignage, de telle ‘aïla, de tel "douar", de telle localité, de telle ville, de telle région, de telle tribu historique, kabyle, chaoui, mozabite, mais aussi du territoire de telle commune, de telle daïra, un ancien ouvrier de l’époque socialiste, de famille d’origine turque, ou arabe « noble », descendant du prophète ou de ses compagnons, ancien moujahid, membre d’une zaouïa, d’une taïfa, membre du FLN, d’un autre parti, s’afficher comme musulman fondamentaliste, exerçant tel métier, etc. …. Tout dépendra du lieu, du moment, des interlocuteurs, des espaces physiques signifiés et des enjeux économiques, sociaux, culturels implicites.

Il faut retenir à ce propos que dans les sociétés agraires d’inter connaissance l’espace est cloisonné socio juridiquement par des consensus sociaux sous tendus par des rapports de force et des lignes de tension politiques permanents et non pas par des bornes physiques qui seraient objectivement immuables et définies par des lois modernes.

L’aïla[1] : ménage, foyer-exploitation, lignage

Le ménage ou famille conjugale Un des thèmes importants de la sociologie de la famille est de discerner l’importance relative de la famille nucléaire (foyer à un ménage) par rapport à la famille élargie ou composée (foyer à plus d’un ménage), à ne pas confondre dans ce dernier cas avec le lignage (cf. ci-après) qui est identifié comme un groupe familial de parenté plus ou moins rapproché, plus ou moins invoquée et qui se compose de plusieurs foyers autonomes en relation de solidarité socio-économique plus ou moins forte et de parenté sociale agnatique rapprochée.

Le foyer-exploitation constitue le premier pallier de l’organisation sociale structurelle de la population agricole. Cellule familiale de base et unité de production de reproduction et de consommation, le foyer-exploitation constitue l’unité socio-économique solidaire élémentaire avec un chef de foyer, centre de décision principal et des liens familiaux forts.

Si l’occupation, l’utilisation et la gestion de base de l’espace et des ressources naturelles s’exercent en dernier ressort par les foyers-exploitations, elle ne se fait pas pour autant de manière anarchique entre ceux-ci. Les rapports des foyers-exploitations à l’espace sont régis par un ensemble de règles et de relations sociales selon les différents types et statuts d’espaces, leurs usages et les degrés de cohésion sociale correspondants. Différents niveaux territoriaux sont ainsi mis en jeu : (i) le territoire privatif du foyer ; (ii) la gestion collective villageoise et lignagère de l’eau d’irrigation ; (iii) les territoires d’usage collectifs pastoraux de la communauté sociale territoriale (lignage ou fraction) ; (iv) les territoires d’usage collectifs pastoraux ou sylvo pastoraux (fraction, tribus) ; (v) les territoires d’usage collectifs historiques tribaux ou inter tribaux.

Dans le cas de l’exploitation agricole familiale, le terme de famille ne s’applique pas à la famille de type conjugal, mais à la famille élargie, à la famille patriarcale. Dans la hiérarchie sociale, l‘aïla représente l’unité sociale de base de la société algérienne[2], car l’individu n’existe pas en tant que tel, il n’existe qu’en tant que membre de l‘aïla.

Le lignage ou plus exactement le patrilignage, exprime le lien de parenté agnatique (filiation par les mâles) le plus large mémorisé par le groupe familial composé de plusieurs foyers sur plusieurs générations. Le lignage est une unité familiale de parenté réelle ou invoquée qui se définit à la fois dans le temps et dans l’espace. Mais on sait aussi que si on remonte à un passé plus lointain, bon nombre de lignages « sont venus d’ailleurs, un jour », alors que d’autres préexistants et dont l’intégrité a été préservée se réclament d’une filiation prestigieuse, Ici comme ailleurs, il y a une certaine constance historique dans les ethnonymes et les morphologies tribales, l’allochtonie est une des lois fondamentales de la morphologie tribale, c’est ce qui a sans doute amené Jacques Berque à souligner que « les contenants ont présentés une certaine permanence depuis le XIIIe siècle jusqu’au moins la première moitié du XXe siècle, tandis que les contenus ont été brassés démographiquement en permanence  »

La tribu et la ferqa.

Dans l’Algérie précoloniale, comme ailleurs au Maghreb la structure sociale combine en simplifiant quatre[3] niveaux hiérarchisés et emboîtés : la tribu, la fraction (ferqa), le lignage adam et la famille ‘aïla. La tribu possède son propre territoire, pourtant, elle n’a pas de rôle important dans l’organisation socio-économique, elle n’a qu’un rôle politique de défense de celui-ci. À ce niveau, se situe une rupture essentielle dans l’organisation sociale précoloniale entre l’entité politique que forme la tribu et une autre entité, sociale celle-là, la ferqa, fraction tribale ou ethno-lignagère. La fraction “communauté sociale face à l’intérieur” est elle-même constituée par un ensemble de familles, un ensemble de ‘aïla, regroupés en lignages au niveau desquels se situe le séquestre et la conservation des  droits collectifs (terres agricoles labourables, terres de parcours droits d’eau collectifs), tandis qu’au niveau de l’aïla se situe le niveau d’usage et d’exploitation des droits collectifs et des biens melk dans un cadre de solidarité socio-économique absolu.

En Algérie la permanence et la recomposition de l’aïla exprime la capacité de résistance des structures sociales traditionnelles et la formidable capacité d’adaptation de ces dernières face aux bouleversements spatiaux et économiques (violents ou insidieux). Face à la puissance coloniale, ou face à l’État socialiste, l‘aïla est parvenue à s’organiser en réseaux efficaces, renforçant son pouvoir et parvenant même à détourner les objectifs de l’État.

Quant à l’identité tribale (tribus et fractions historiques) sinon ethnique globale, elle peut subsister ou se recomposer ça et là dans des registres néo-politiciens et de revendications locales ou régionales.

En ce qui concerne enfin la structure et l’identité lignagère on peut émettre à ce stade l’hypothèse qu’elle ne peut subsister que dans les zones traditionnelles qui n’ont pas subi de grands bouleversements migratoires (émigrations, déplacements forcés de population), d’une part, et là où subsistent encore des systèmes de gestion sociale de biens collectifs : droits d’eau collectifs oasiens et de montagne, droits d’épandages de crue traditionnels, droits pastoraux collectifs …Ils seront identifiés et évalués lors de la phase d’inventaires de terrain de l’étude.

[...]

(Extrait d’un rapport préliminaire à l’étude d’inventaire et de développement de l’irrigation en Algérie – SOGREAH - Alger, novembre 2007)

 NOTES

[1]La famille en général en arabe, exprime un lien de parenté biologique et par alliance plus ou moins rapproché. Un autre mot, ‘ousra, désigne la famille au sens plus conjugal. Le tribunal aux affaires familiales est ainsi dénommé mahkama el ‘ousra et non pas mahkama el ‘aïla.

[2] Claudine Chaulet en donne la définition suivante pour l’Algérie : « Groupe formé par un homme marié, ses fils mariés , leurs épouses et leurs enfants, etc, vivant ensemble tandis que les filles partent dans le groupe de leur époux … Le groupe, fondé sur la parenté en voie masculine, est une unité de production –sur un patrimoine commun- et de consommation. C’est aussi un sujet social, qui intervient en tant que tel par l’intermédiaire d’un chef de famille et qui possède en tant que tel un capital symbolique, un nom, un honneur, un pouvoir d’intervention dans la vie sociale.

Ce groupe organise ses forces pour sa propre reproduction biologique et sociale, et déploie des stratégies pour que cette reproduction biologique soit « élargie ». C’est lui qui est réellement la « cellule de base de la société », segment dans un système de parenté agnatique, l’aîla s’y caractérise par la cohabitation, avec résidence patrilocale, et le pouvoir patriarcal de son chef. Le couple conjugal n’existe qu’en tant qu’il légitime la reproduction biologique, établit la filiation, mais il est constitué par et dans l’aïla, et fait des enfants pour elle.

[3] Dans les tribus arabes nomadisantes on peut trouver jusqu’à 7 paliers de segmentation entre la cellule familiale de base et la confédération tribale historique, tandis que dans les sociétés sédentaires berbérophones de montagne on ne peut en trouver que 3 : l’aïla, le lignage et la fraction.

 

famille pieds noirs

Fillette à la faucille_Algérie

gourbi

kabylie_corvée_d'eau_1950

Scanned-Documents-copie-11

DSC08192

DSC08206

DSC08220

DSC08264

 

IMG_1130

 

IMG_1316

 

 

 

IMG_1555

 

IMG_7906

DSCN1922

Publicité
Publicité
Commentaires
Christian Potin Consultant intermittent du Développement Inégal
Publicité
Christian Potin Consultant intermittent du Développement Inégal
  • Etudes, expertises, mentorat, évaluations et aide à la décision en matière de DEVELOPPEMENT AGRICOLE et RURAL, d’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; de GESTION SOCIALE et INSTITUTIONNELLE DES RESSOURCES EN EAU et de L’ENVIRONNEME
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité