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11 octobre 2013

Petite histoire du contrôle territorial du Moyen Atlas Central (Maroc) - Christian Potin, 2004

Sommaire

1. Arrière-plans civilisationnels et géopolitiques

1.1. Des origines à l’avènement de l’Islam

1.2. Mouvance Sanhaja et périphéries makhzéniennes anciennes

1.3. Guerre de " pacification " et derniers sursauts de l’assabiya géopolitique

2. Evolution contemporaine des genres de vie agro-sylvo-pastoraux : du protectorat à l’indépendance

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1.   Arrière-plans civilisationnels et géopolitiques

1.1.  Des origines à l’avènement de l’Islam

La préhistoire de l’Afrique du Maroc en général et du Moyen Atlas en particulier reste très mal connue. C’est sans doute pendant la période préhistorique (entre 3000 et 1000 A.C.) que se mettent en place les grands rameaux berbères venus pour la plupart de l’Est et qui ont envahi tout le Maghreb en assimilant des groupes négroïdes anciens qui vivaient dans la zone méridionale et dans celle de l’oued Draa.

A l’époque romaine, les Baquates, qui seront ensuite dénommés berbères Botoüyas ou Sanhadja du Rif oriental, et les Boqoïas, berbères Sanhadja de l’Atlas central sont organisés en petites principautés ou petits royaumes à fondement tribal ou clanique et sont alors les alliés de Rome qui en fait ses protégés. La chute de l’empire romain sera consommée par l’invasion vandale et à la fin du VIIe siècle Volubilis devient plus ou moins autonome de Byzance contrairement aux villes côtières.

A la même époque, si l’Atlas central et occidental sont occupés par des tribus païennes, dans le Fezaz (Moyen Atlas Nord et Oriental), des tribus d’origine Zenata professent le judaïsme. La dynastie Miknassa venue de l’Est va ensuite contrôler les territoires de Meknes, Fès jusqu’à Sijilmassa, Moyen Atlas central et oriental compris, de la moitié du VIIIe siècle à la fin du Xe siècle. L’islamisation va gagner progressivement ces régions.

Soixante ans après l’hégire, l’Islam fait son apparition au Maghreb. Les tribus berbères semblent l’avoir accueilli assez aisément au départ puisqu’on retrouve certaines d’entre elles parmi les troupes qui conquièrent l’Espagne.

A partir de 740, l’Islam s’affirme au Maghreb. Cependant les exactions fiscales arabes (kharej et Jaziya aux nouveaux convertis), et les prélèvements d’esclaves entraînent une crise Kharéjite violente partie du Maghreb el Aqsa. Le contrôle de cette révolte, qui demandera du temps et sera difficile, ne permettra pas de revenir à la situation antérieure d’allégeance aux califes orientaux.

Sijilmassa au Tafilalet demeure le centre d’une principauté kharejite dont l’importance va largement éclipser celle de Fès du fait de sa place stratégique sur les routes du commerce avec l’Afrique Tous les berbères ne sont pas encore convertis à l’Islam et dans l’Atlas et le Sous, la plupart des tribus restent encore païennes.

Ce sont les Idrissides (799-923), qui rassembleront une bonne partie de ces tribus dans un Etat unique. Des campagnes seront menées contre les berbères du Maroc qui professaient le paganisme, le judaïsme et le christianisme et qui s’étaient retranchés dans les montagnes et des forteresses du dir des Fendlaoua, Mediouna , Bahoula, Fer Bahlil , Ghiatas et de la région.

Sous Idriss II (803-829), le Moyen Atlas n’est pas encore contrôlé. Ahmed fils d’Idriss II et frère du Sultan en titre Mohamed Ben Idriss reçoit en héritage le commandement de la ville de Miknassa, celle de Tadla et les territoires intérmédiaires du Fezaz.

De la moitié du Xème siècle jusqu’au XIIème  (avènement des Almoravides venus du désert), l’histoire reste trouble et mal connue. Il y a de nombreuses expéditions, alliances, contre-alliances, et le Maghreb occidental est le champ clos d’affrontements entre Fatimides et Omeyades. Le Moyen Atlas est séparé politiquement en deux zones, à la limite d’influence entre les principautés zénètes. Maghraoua et Beni Ifren de Fès (fondée auparavant par Idriss II) et des Beni Ouanoudin ou Beni Khazroun de Sijlmassa.

1.2.  Mouvance Sanhaja et périphéries makhzéniennes anciennes

Au Xème siècle, on observe des percées des Zirides Sanhajiens venues de l’Est (kharejites), plus guerriers et envahissants, organisés en royaume et principauté. Ils vont supporter le premier choc Almoravide, après avoir subi la résistance acharnée des Zénètes Maghrawa qui étaient eux alliés aux Omeyyades sunnites, tandis que les Zirides étaient chiites. Mais finalement, les poussées Fatimides resteront en demi-teinte malgré les enjeux géopolitiques du Maghreb el Aqsa et les enjeux économiques de la route de l’or Fès-Sijilmassa au Sahara, eu égard aux autres préoccupations plus orientales de ceux-ci (Hammadites , Abassides).

L’invasion des Almoravides vers le Nord s’explique à la fois par des raisons économiques et de recherche de terres “ riches ” et de parcours, et des raisons religieuses. Cette dynastie “ al morabitun , combattants de la foi” prend ses origines des tribus sanhaja du Sahara occidental , les Lemtouna “ Al Moualithoum ” : les hommes voilés, porteurs du litham. Ils contrôlent la route de l’or du Ghana : Aoudaghost Taroudant jusqu’au XIème siècle (El Bekri) et sont réputés comme étant des nomades sillonnant le Sahara. Eleveurs, ils pratiquent le trafic caravanier, la guerre et la chasse.

En 1054, les troupes almoravides réussissent la prise du royaume de Sijlmassa à la suite de l’appel des sanhaja du crû, en lutte contre les zénètes Maghraoua. Ils contrôlent désormais les deux grandes routes sahariennes partant du Maghreb el Aqsa. Après la prise de Taroudant, les Almoravides pénètrent dans le Haut Altas occidentale Tensift. Nfis  (avec une résistance plus dure dans la ville d’Aghmat). Ils rencontrent des difficultés pour la conquête des Berrghouata hérétiques du Maroc atlantique (soumission politique mais non conversion à l’Islam)

Youssef ben Tachfin (1060-1106), successeur d’Abdalla Ben Yassin, devient ensuite maître du Maghreb. Il fait le siège de la citadelle du Fezaz (qalaa Fazaza) en 1063 après avoir effectué une première prise de Fès. L’histoire des mouvements et mixages de populations du Moyen Atlas sous la poussée almoravides reste mal connue.

Sans entrer dans le détail de l’épopée Almohade et de son organisation tribalo-guerrière nous rapporteront des éléments issus de l’ouvrage de Levi Provencal[1] qui fit la traduction des « mémoires d’Al Baidaq », qui fournissent des témoignages sur les affrontements Almoravides/Almohades au XIème siècle, et les tentatives de rebellions sanhadjiennes dans le Maroc central.

« …Les gens du Fezaz ayant adopté le parti Almohade allèrent assiéger Al Kala capitale alors du Fezaz. Tachkin et Reverter étaient alors à Fès, ils mobilisèrent de cette ville et de Meknès des troupes qui furent défaites à Al Kala. La reconnaissance du pouvoir Almohade fut ordonnée par Abd El Mumen avec exécutions symboliques mais massives de centaines de guerriers fauteurs de troubles parmi les tribus jadis soumises au pouvoir Almoravides et parmi eux notamment les Sanhadja Jaraoua du Tadla… »

Finalement, (Lieutenant de la chapelle[2]) : sous les Almohades (1147-1269) et les premiers Merinides, les Sanhadja de L’Atlas sont cantonnés en montagne et se voient spoliés de leurs terres et parcours de plaine au profit des tribus ennemies arabes ou berbères soumises aux Sultans (exactions des tribus arabes Oudayas par exemple, devenus agents de commandement et collecteurs d’impôts). Il y a une accumulation des motifs de rébellion qui provoquent des révoltes en bled siba (indépendance recouverte). Au début du XVème siècle, des razzias sont menées jusque dans la plaine du Tadla, et vers 1515, Léon l’Africain, déclare les Sanhadja de l’Atlas tout à fait maîtres chez eux, déboutant une harka sultanienne contre eux.

Les Béni Merin nomades, d’islamisation fruste, avaient leurs lieux de parcours qui s’étendaient de Figuig à Sijilmassa, et de là, à la Moulouya. Anciennes tribus Zenaga qui habitaient la Moulouya (les Meghraoua notamment), dont il restait des fragments éparpillés au début du XIIIe siècle. Il n’y avait pas de buts religieux précis chez eux, pas de buts  politiques non plus, mais des buts économiques avant tout. Ils possédaient déjà les hauts plateaux de l’oriental et contrôlaient  les routes Sijilmassa-Draa-Fès ; Meknès-Fès-Taza.

Sous Othman Ben Abd el Haak (début XIIIe siècle), on observe une montée en puissance des Béni Merin au Maroc contre les Almohades. Des révoltes multi locales sont conduites par des tribus qui refusent de payer l’impôt. « Tout le pays ouvert (hors des cités) » tomba au pouvoir des Mérinides, les gens de la campagne restèrent sans protection et les tribus se virent imposer le Kharadj. En 1223, Othman se retourne contre les Zenata nomades et les muselle de leurs brigandages.

Abou Yahya Ibn Abd El Hak, fonde l’empire Mérinide en 1245 et conduit des opérations de conquête sur le territoire d'Outat (Midelt) dans la Moulouya avec la prise de Fès en 1248. Un an plus tard une campagne est menée afin de réduire Fezaz et Maden et soumettre le pays des Zenata.

Abou Youssef Ibn yacoub Ibn Abd El Hak étant enfin parvenu à la conquête de l’ensemble du Maroc, et ayant renversé définitivement la dynastie d’Abd el Moumen l'Almohade, se remet en marche en 1274 contre Sijilmassa à la tête de tous les contingents du Maroc : Zenata, Arabes, Berbères soumis et troupes B. Mérin et en fait le siège pendant un an, avant que la cité ne capitule. En 1366  Abd El Moumen, le Mérinide est proclamé sultan de Sijilmassa.

Sous les Saadiens (vers 1539) qui s’appuient sur les tribus arabes, les Sanhadja de l’Atlas restent maîtres chez eux (Marmol, 1570), puis devenant offensifs, ils viseront ensuite le pouvoir central du Maghreb au XVIIe siècle, constituant ainsi un véritable royaume centré sur la Zaouia de Dila sur l'oued Srou (?) commandée par Ould Mohammed EL Hajj Ed-Dilaï qui contrôle alors tout le Maroc central, y compris Meknès et Fès.

Les répercussions géopolitiques en furent le rétablissement partiel des relations des deux tronçons Sahadjiens de l’Atlas et du Sahara, via les mouvances importances des grandes confédérations Ait Atta notamment, qui poussèrent un temps jusqu’aux portes des capitales du Nord.

Il y eut par la suite des mouvements de poussées successives Sud-Nord de groupe à groupe et enfin, émergence de la dynastie Alaouite originaire du Tafilalet.

Les chérifs ‘Alawites du Tafilelt n’étaient, au milieu du XVIIe siècle, qu’une modeste puissance, mais ils sont porteurs d’un grand nom, ils tiennent aussi un des axes du commerce saharien, encore important malgré sa relative décadence ; ils sont, enfin, portés par l’ambition et entraînés par les qualités de guerriers et d’organisateurs de leurs chefs, Mulay Mahammad puis Mulay al-Rashid (1664-1672).

En 1666 Fès est prise définitivement par Moulay Rachid qui pille le territoire d’un groupe de partisans du marabout de Dila, les A.Wallal aux environs de Meknès (intégrés aujourd’hui aux Ait Ndir (Beni Mtir) originaires des Ait Atta ou Ait Idrassen du Sahara.

En 1668  la Zaouïa de Dila est définitivement détruite après le combat de Bordj El Rouman, avec la complicité d’un certain nombre de chefs Sanhadja qui cherchaient depuis longtemps semble-t-il à trahir le marabout.

La disparition de l'état théocratique centré sur la Zaouia de Dila fut donc due en partie aux divisions intérieures Sanhadja. C’est à partir de ce moment en tout cas que leur hostilité à l’égard de la nouvelle dynastie Alaouite se déclara définitivement, d’où peut être le choix de Meknès[3] par Moulay Rachid comme capitale impériale pour contrôler l’Atlas Sanhadja ?

Dès 1674 on assistait à une nouvelle révolte Sanhadja ouverte, avec refus de paiement de l’impôt, massacre des envoyés du sultan, puis refuge en position défensive en montagne. 500 cavaliers et 8000 fantassins sanhadjiens défirent les troupes de Moulay Ismaël avant un retournement de situation, et la victoire du Sultan qui lui valut un important butin.

En 1677, nouvelle révolte sanhadjienne sous l’égide d’Ahmed ben Abdallah avec pillage des territoires arabes des plaines du Saïs et du Tadla et occupation des terres par les tribus Sanhadja. Deux corps d’armée sultaniens de 4000 hommes chacun envoyés contre eux sont repoussés avec de lourdes pertes près de Meknès et à Kasba Tadla. Moulay Ismaël regagne alors du terrain grâce notamment à son guich Oudaya. Il passe l’été 78 en Haute Moulouya pour consolider la situation mais doit faire mouvement sur le Tafilalt contre une rébellion de trois de ses frères soutenus par les confédérations et tribus sanhadjiennes du versant Sud de l’Atlas et du Sahara, dont notamment les Ait Atta.

Les Guerouane, aujourd'hui installés au nord de Meknès, se trouvent alors dans la vallée du Ziz et cherchent à remplacer les arabes dans la suzeraineté du Draa et de ses oasis. Ils entrent en conflits avec les Ait Atta et constituent alors la vaste alliance géopolitique territoraile des Ait Yafelman également, avec d’autres tribus Sanhadja du Dadès, du Todgha et du Ziz qui se groupent avec quelques fractions arabes locales menacées sur lesquels les dynastes Alaouites se s'appuyèrent semble-t-il pour contrebalancer le poids des Ait Atta.

Les déplacements forcés de tribus soumises amenées du Sud sur la bordure du Moyen Atlas constituèrent une tactique constante des différents sultans chérifiens contre les tribus turbulentes pour limiter la contagion et l’extension de leurs révoltes périodiques. Cette stratégie contrait ainsi par anticipation le mouvement «  naturel historique » des montées périodiques des tribus sahariennes sur le versant Nord. Tandis qu'en pays insoumis (Bled Siba), prévalait la tactique de l’intervention d’un marabout gagné à la cause pour trouver des nouveaux alliés.

Moulay Ismaël, organisa ainsi la partition des tribus soumises en cordons voisins, des avant poste, depuis le Sud-Ouest de Beni Mellal jusqu’à la Haute Moulouya ; et après les avoir dispensées d’impôt, elles furent chargées en échange de doubler le rôle défensif des garnisons (qasba-s). Les fractions et tribus déplacées sont encore aujourd’hui plus ou moins toutes en place, et bon nombre d’entre elles ont conservé le souvenir de cette migration dans leur mémoire collective.

Pour résumer très succinctement les principales mouvances et relations des Sanhadja du Moyen Atlas avec les Alaouites après le décès de Moulay Ismaël, laissons la parole aux sources écrites compulsées par Henri Terrasse et ses sources orales (Moulay Hassan 1° et ses prédécesseurs).

« …Il y eut une grande poussée Sanhadja après la mort de Moulay Ismaêl, les Ait Youssi occupent le Sud de Meknès ; les Zemmour et les Guerouan occupent Azrou et Aïn Leuh, tandis que les Beni Mtir tiennent le causse moyen atlasique du Nord.

…Sous Moulay Ali (1735-1736) les Ait Oumalou (dont les Ait Mguild) font une poussée jusqu’à Fès.

…Sous Sidi Mohamed B. Abdallah (1757-1790) ce furent les Sanhadja du Moyen Atlas qui lui donnèrent le plus de souci. Il y eut de nombreuses expéditions sultaniennes en 1765 contre les Ichkern, en 1768 contre les Ait Yimmour et les Marmoucha, en 1772 contre les Guerouan, en 1775 contre les Ait Ou Malou, etc…

…La première harka de Moulay Hassan 1er fut battue chez les Ait Youssi et ne dépassa pas El Hajeb. En 1874 une réaction énergique du sultan contre les berbères du Moyen Atlas se traduisit en campagne victorieuse contre les Ait Serghrouchen. En 1888 un gros effort de reconquête fut effectué par le même sultan contre les Ait Oumalou (Beni Mguild, Ichkern, Ait Sokhman, Ait Seri) qui aboutit à la soumission de presque toutes les tribus.

…Puis la révolte du rogui Bou Hamara, début 1901, sema troubles et anarchie dans le bled Makhzen : razzia de la qasba de Sefrou par les Ait Youssi tandis que les Guerouan et les Zemmour pillaient les souks de Meknès, etc.

…La rivalité des deux successeurs Moulay Hafid et Moulay Abd El Aziz sonna définitivement le glas du Maroc indépendant et permit la pénétration française au Maroc en 1904, puis l’instauration officielle du protectorat en 1912… »

En guise de synthèse, nous donnerons la parole à E.F. Gauthier (op.cit) qui résume assez bien, quoique d’une façon quelque peu stéréotypée, les caractéristique du Moyen Atlas central depuis son occupation par les Sanhadja (Zenaga du Moyen - Age).

« ... Le Maroc a son Aurès, peuple de transhumants. C'est toute l'énorme masse du Moyen Atlas peuplé au Moyen Age de Zenaga, qui sont aujourd'hui les derniers et les seuls à porter au Maghreb le vieux nom de Beraber. Cet énorme bloc de transhumants, bien plus considérable que l'Aurès, a été encore plus impénétrable. Ses vertus militaires sont légendaires. Et cependant ces transhumants marocains n'ont jamais fondé une dynastie, jamais joué un rôle politique quelconque, du moins un rôle actif...

...II faut aller au Maroc, et regarder les Beraber du Moyen Atlas, pour soupçonner de quel poids les transhumants ont pesé sur les destinées du Maghreb. Le Moyen Atlas couvre la moitié du Maroc, il s'étend jusqu'aux portes de Fès, il a été essentiellement, à travers toute l'histoire, le "bled siba", le pays éternellement insoumis, en dehors de tout, se refusant à toute collaboration… »

Le XXe siècle avec la colonisation puis l’indépendance allait accélérer l’histoire, figer dans l’espace les groupes tribaux «  l’émiettement entraînant l’émiettement ».

1.3.   Guerre de " pacification " et derniers sursauts de l’assabiya géopolitique

En regardant les grandes étapes de la conquête française au Maroc en général (dite à l'époque par "guerre de pacification"), on peut voir que le Moyen Atlas est conquis de 1912 à 1920. Saïd Guennoun[4], dans "La Montagne Berbère" fournit une chronologie de la pacification du pays des Ait Oumalou assez détaillée et reproduite ci-après :

"... Nous arrivâmes au contact du pays Ait Oumalou en 1912, à la suite des combats d'Ouldjet Soltane (Taghzout Ou Guellid, pour les Berbères), du Djebel Tafoudéït, d'Ifrane et de Sidi Abdesslam. A l’Ouest nous commençâmes à trouver, dans les rangs ennemis, les Zaïans d'Oulmès et quelques autres de la région de Khénifra. A l'Est, nous constatâmes l’entrée  en ligne, aux côtés des Beni M'Tir (Ait Idrassen) de premiers contingents Béni M’Guild. La campagne de 1913 nous porta à Oulmès et à Azrou en plein pays de cette confédération, nous mettant ainsi à pied d’œuvre pour la pénétration des opérations principales vers l'Oum Rebia et la Moulouya. Puis en 1914, nous inaugurâmes l’exécution du plan général de ces opérations dont nous donnons ci-après les phases principales :

-1914 : Occupation de Moulay Bouazza, Guelmous, Khénifra (Zaïans), Ain Leuh (Beni M'Guild).

-1915 : Occupation de la région de Timahdit (Beni M'Guild).

 -1917 : Occupation de Bekrit et d'Itzer (Beni M'Guild) et d'El Hamman (A. Sgougou).

 -1919 : Occupation du pays Ait Mouli (Beni M'Guild) sur la Moulouya.

-1920 : Occupation du cours de l'Oum Rebia vers Zaouit Cheikh, Zaouia Ait Ishaq, El Bordj, et Oued Amassine.

-1921 : Renforcement de l'occupation de cette partie du fleuve par l'installation des postes de Ouaoumana (A. Ishaq), de Bouguedji et de Mezgouchen (Zaïans). Occupation du pays Ait Abdi.

-1922: Pacification des pays Ait Ouirra, Ichkern, Ait Ihand et Beni M'Guild de la Haute Moulouya.

-1926: Occupation des sources de la Moulouya et d’Aghbala (Ait Sokhman)..."

Un exemple de la mouvance tribale lors de la guerre de pacification à l’exemple des Beni M’guild, nous est donné par Drevet[5].

"... Les Beni M'Guild sont une ample et sinueuse confédération qui nomadise l'été sur le haut plateau du Moyen Atlas, entre le Tigriga et la Haut Moulouya. A partir de 1914, les  Irklaouen d'Azrou et d'importants fragments des Ait Meghouel et des Ait Mouli d'Azrou sont domptés. Mais il s'agit de les séparer des fractions irrédentes qui ont reflué vers le Sud et des Ait Arfa de la Moulouya, des A. Mohand et A. Lias qui gravitent à l'aplomb du karst sommital, entre Bekrit et l'aguelmane Sidi Ali. Pour ce faire, le capitaine Bertschi, puis le capitaine Nivelle, qui commandent entre 1916 et 1922 le cercle Beni M'Guild, prétendent reconstituer leurs gens fraction par fraction, "douar" après "douar", tente après tente, selon le modèle de l'arbre généalogique cher aux Bureaux arabes de l’Algérie française. La tâche est délicate en cette confédération dont les tribus ne s'emboîtent pas comme sur un damier mais, souvent, s’enchevêtrent à la manière d'un puzzle embrouillé. Ainsi les Ait Arfa sont dans la région d’Azrou, une fraction des Irklaouen, mais une tribu souche sur le Guigou et la Moulouya. Les Ait Meghouel sont dissociés en deux grands paquets, entre lesquels s'interposent les Ait Lias et les Ait Mouli. Du coup, Bertschi fait pleuvoir les amendes sur les cheikhs et moqaddems qui fournissent des faux renseignements sur l'installation sur leur sol de tentes étrangères ou «  insoumises ». Et il pousse à la délation pour interdire aux fractions reconstituées d'essaimer ailleurs :

"Lorsqu'un "douar" Ait Meghouel sera formé, il dénoncera ceux qui se faufileront dans d'autres campements pour échapper à la règle commune".

Progressivement, le fossé s'étire entre "ralliés" et "dissidents". En 1920, Nivelle décide de classer les Beni M'Guild en deux catégories : les "soumis" et les "insoumis", sans aucun rang intermédiaire. Mais cette restauration des isolats ethniques ne suffit pas à établir une distinction bien marquée entre ralliés et résistants. Pour assujettir les tribus, la Résidence doit recourir aux procédés coercitifs employés par tous les envahisseurs : prises d'otages, razzias, amendes collectives (le tribut des Romains), séquestres de terres, etc.

La lenteur de la " pacification " et la stratégie basée sur le blocus de la montagne par l’interdiction de la transhumance hivernale ont laissé, lorsque la soumission de toutes les tribus fut obtenue, des problèmes difficiles à résoudre dont le principal fut celui de la reprise de la transhumance. Or celle-ci est, dans le contexte socio économique des populations de la région, une nécessité absolue découlant aussi bien des conditions du milieu physique que des structures sociales locales.

Les tribus du dir et de l’azaghar, traditionnellement hostiles aux transhumants, se sont habitués à ne plus les voir, les progrès de la sédentarisation et l’implantation des colons sur les riches terres de l’azarhar et du Saïs ont obligés maintes tribus ou fractions de tribu à modifier les modalités de leur déplacements.

Avec le concours des Jemaâ-s, le Service des Affaires Indigènes s’emploiera, en vain, à concilier les intérêts opposés des populations indigènes et de la colonisation. Des accords interviendront pour modifier ou maintenir en vigueur les pratiques coutumières, la transhumance sera réglementée et réorganisée par les autorités coloniales qui établiront entre les groupes transhumants des conventions et des accords qui tenteront à rendre définitives des servitudes qui auparavant n’étaient que provisoires. Parallèlement l'instauration du domaine et du régime forestier ne faisait qu'ajouter aux contraintes et astreintes nouvelles imposées aux parcours du jbel qui devaient désormais être désaisonnés. Finalement tout concourrait à la déstructuration de la remue et de l'écologie sociale des pasteurs sanhadjiens sans proposition de modèles d'autres genres de vie montagnards alternatifs.

 

2.  Evolution contemporaine des genres de vie agro-sylvo-pastoraux : du protectorat à l’indépendance

Dans un espace où les ressources naturelles et les climats sont des plus variés, les techniques employées rudimentaires, la maîtrise du milieu est limitée. Pour pallier à ces difficultés les tribus avaient élaboré des systèmes sociaux à travers un ensemble cohérent de pratiques afin d’assurer la pérennité du groupe et de son patrimoine naturel vécu et approprié. Les tribus étaient liées entre elles par des liens socio économiques qui étaient précisément le résultat de ce milieu.

Chaque groupement ethnique ou chaque communauté pouvait ainsi à travers des conventions collectives, des contrats ou des alliances pallier aux insuffisances ou partager le surplus de son lieu d’implantation principal par l’établissement d’un régime de transhumance adapté à chacun d’eux. Il en résultait des mouvements qui affectaient tour à tour et simultanément les tribus ou fractions de tribus si bien que certains espaces servaient à la fois de terrain de parcours d’hiver à certaine d’entre elles et de lieu d’estivage à d’autres. Ce qui ne veut pas dire que les conflits et litiges n'existaient pas, mais ils avaient leurs propres modes de résolution internes et périphériques, dans un contexte de champs de forces et de tension interne qui en assurait la pérennité de l'historicité propre et l'autonomie sans arbitrage makhzénien.

A l'instar des autres zones de montagnes du Maroc "non utile" dans l’ensemble du Maroc central, les modifications économiques, sociales et administratives qui suivirent l’installation du protectorat furent de loin bien moins spectaculaires que dans des régions comme les plaines atlantiques et le couloir Gharb-Saïs. Les pays montagneux du Moyen Atlas et du Plateau Central, aux ressources agricoles limitées, n’attirèrent dans l'ensemble guère la grosse colonisation terrienne. L’ouverture des voies de communications et le développement des relations inter régionales provoqua bien la naissance d’agglomérations et quelques migrations de population, mais aucune grande ville ne s’y créa, capable de bouleverser la société et et de constituer un pôle de développement économique harmonieux pour la région.

La colonisation terrienne s’installa tout de même quelque peu en pays Beni M’Guild, particulièrement dans les plaines du Tigrigra aux alentour d’Azrou et dans l’Azaghar des Beni M’Guild jusqu’à l’Adarouch, mais elle ne s’étendit que sur quelque 7 000 ha. Elle fut exclusivement privée et l’achat des terres se fit directement, sans interventions de l’Etat, par des européens. Au départ, jusqu’en 1935 semble-t-il, les ventes se firent avec l’accord des Jemaâ-s, puis elles devinrent strictement interindividuelles. Ces implantations eurent certes des conséquences sur l’équilibre de ce système agraire, mais elles comptèrent moins pour l’économie que la délimitation des forêts domaniales et des collectifs dont l’impact fut considérable.

Avec l’installation de la colonisation et du capitalisme agraire dans la plaine de Meknès, l’histoire des rivalités sur les pâturages allait connaître des phases décisives qui ont déterminé avec force et de façon irréversible la situation globale telle qu’elle existe encore aujourd’hui. Le cantonnement des Beni M’Tir autour d’El Hajeb a modifié totalement le jeu des alliances qui prévalaient auparavant avec les Beni M’Guild. Les Beni M’Guild bénéficiant des pâturages d’hiver des Béni M’Tir et en échange leur permettant de venir sur les hauteurs d’Azrou l’été. Ceci semble être la première restriction des pâturages de ces populations qui ont connu auparavant des espaces plus importants.

Dans un second temps, l’administration forestière, par le jeu de la délimitation du domaine forestier, allait effectuer une ablation du territoire des populations de pasteurs. Ainsi au début du siècle, près de 20 000 ha de forêt furent soustraits à la libre pâture aux Beni M’Guild. Ce processus de ponction sur les territoires des pâturages s’est poursuivi avec l’installation du ranch Adarouch[6] et le reboisement forcé de certains terrains collectifs[7]

Les collectifs furent par ailleurs progressivement recensés en application du Dahir de 1919. Après enquête de délimitation, les terres cultivées furent exclues de la délimitation des terres collectives, ainsi que les friches dominant directement les champs, et les petits pacages collectifs des douars. Au total, n’étaient donc concernés que les grands pâturages non forestiers du jbel et de l’azaghrar. Ces zones d’espace furent donc légalement définies comme des pâturages sur lesquels toute appropriation privative était interdite, toute culture prohibée, toute construction en dure proscrite.

Au moment où l’accroissement démographique de la population contraignait les semi nomades à se convertir en agriculteurs, la délimitation des terres domaniales et des pâturages collectifs, fixa sans doute une limite aux défrichements inconsidérés, et à sa conséquence, l’érosion ; mais cette politique de conservation eut également pour conséquence de diminuer l’espace pastoral, dans le cas de mise en défens, et de pratiquement interdire l’extension des terres cultivées.

Le processus historique de peuplement de la région semble avoir été progressif et cette zone a exercé sur les différents individus ou groupe d’individus une attraction qui n’a pas manqué de créer des conflits qui sont encore ranimés parfois au gré des alliances et des différentes conjonctures . Rappelons ici à nouveau que les grandes tendances évolutives dans leur globalité pour l'ensemble de la zone d’étude sont bien connues et se présentent de la manière suivante : sédentarisation; exode rural des petits éleveurs; développement d'une classe de gros éleveurs plus ou moins absentéistes et paupérisation rurale des petits et moyens éleveurs.

Ces évolutions sont globalement les conséquences du développement de la modernité du Maroc avec tout d'abord les effets disruptifs de l'épisode colonial (qui n'a duré somme toute que 45 ans), puis l'évolution socio-politique du Maroc indépendant. Pour ces deux périodes, les facteurs déterminants sont également bien connus :

–           Coupure des pasteurs de leurs parcours de plaine;

–           Blocage de la mouvance socio-territoriale et de l'historicité tribale des groupes ;

–           Instauration du Domaine et du Régime forestiers;

–           Situations foncières restant légalement et dans les pratiques sociales confuses et à l'origine de tensions et de conflits sociaux,

–           Ouverture timide à l'économie de marché et rapports "déséquilibrés" avec le colonat lors du protectorat; puis accélération de l'option du libéralisme économique débridé depuis les deux dernières décennies ;

Et enfin, depuis peu, l'option fondamentale de la décentralisation et de la participation démocratique au développement local, dans un contexte de déconcentration et de cloisonnement administratifs, de désengagement de l'Etat et de responsabilisation des populations et de leurs représentants, qui restent encore largement à améliorer à tous les niveaux territoriaux et à mettre en synergie avec cette option fondamentale.

De nos jours encore, cette région attire des éleveurs venus d’autres régions plus pauvres ou appauvries par les sécheresses successives (cas des fameux Ouled Khaoua). Mais aussi de néo-capitalistes urbains, ayant droit traditionnels ou non ayant droit, qui réinvestissent leur épargne dans des systèmes ovins extensifs aléatoires, dans l'impasse socio-territoriale et technico-économique, à la limite de la rentabilité financière dans certains cas (taux de complémentation structurels élevés), et/ou certaines années de sécheresse, hors l'Etat Providence et ses subventions d'aliment de sauvegarde, ce qui par contrecoup permet de maintenir une pression sur la forêt et les ressources naturelles.

Cependant cette sorte de "tautologie" évolutive, ce cercle vicieux économico-socio-politique, cache quelque peu, dans sa perception, une diversité de "points de départ" historiques locaux plus spécifiques des différents groupes socio-territoriaux de base sur tous les plans (socio-économiques, culturels et politiques), qui génère forcément des évolutions récentes, actuelles et potentielles encore plus diversifiées et plus diversifiantes. Force est de constater que malgré les projets, programmes, et actions interventionnistes de l'Etat passés et en cours ces dynamiques évolutives restent mal appréhendées, selon le degré de connaissance distanciée des espaces sociaux en continu et de leur prise en compte plus ou moins spécifique, la boîte à outils de l'approche participative et le type de participation socio-politique réellement visé et maîtrisable au-delà des discours d'intention. Tandis que parallèlement les collectivités locales, la société civile et les organisations professionnelles privées "auto-générées" restent très timides et peu fonctionnelles face à la volonté de désengament et de décentralisation de l'Etat et de ses départements technico-administratifs. Cela conditionne, en dernier ressort, la réussite de tout projet d'aménagement et de développement local en général et celui des forêts et parcours collectifs en particulier.

 

 NOTES

[1] Levy Provencal, "Documents inédit d’histoire des Almohades, fragments manuscrits du"Legago" 1919 du fond arabe de l’Escurial, Traduit par E. Lévi Provençal, Librairie Orient P. Geuthner, Paris, nouvelle édition 1978

[2] Lieutenant de La Chapelle

[3] L'histoire est exemplaire puisque aujourd'hui encore le Moyen Atlas central sanhadjien (provinces de Khenifra, Oulmès, Ifrane et El Hajeb est rattaché à la région Meknès-Tafilalet.

[4] Saïd Guennoun, "La Montagne Berbère"

[5] Drevet,

[6] Rappelons que l'installation de la société privée King ranch dans le couloir des parcours collectifs d'été des Irklaouene de l'oued Adarouch fin des années soixante fut une opération de spoliation foncière d'envergure qui soustrait quelque 11 000 ha de parcours collectifs d'hiver et provoqua le déplacement d'agro-pasteurs qui furent installés dans la plaine d'El Hajeb. Cet épisode fit couler beaucoup d'encre à l'époque et le psycho-sociodrame des contribules ayant droit n'est pas toujours appaisé comme on a pu le constater çà et là lors des entretiens de terrain de l'été 2003. Il semble par ailleurs que le modèle technico-économique présenté comme prometteur à l'époque dans les milieux autorisés ait fait long feu dans l’Adarouch, comme dans les quelques autres expériences étatiques ou privées similaires qu'il diffusa en plaine.

[7] Cas du causse d'Itto en particulier, entre Azrou et le belvédère du paysage d'Itto.

 

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Commentaires
F
Merci pour l'article.<br /> <br /> Est ce que je peux avoir accès à plus d'articles sur la déportation des populations d'Adarouch qui a eu lieu dans les années 1970?<br /> <br /> Ce sujet m'intéresse beaucoup et je ne trouve pas de références pour le situer historiquement, politiquement, socialement ou même culturellement.<br /> <br /> Merci pour votre coopération.<br /> <br /> Fatima
Répondre
B
Merci pour cet éclairage très intéressant.<br /> <br /> Je suis à la recherche de cartes ou documents relatifs aux partage(s) des terres tribales ou Milkya dans la tribu Gerouane. Merci
Répondre
Christian Potin Consultant intermittent du Développement Inégal
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Christian Potin Consultant intermittent du Développement Inégal
  • Etudes, expertises, mentorat, évaluations et aide à la décision en matière de DEVELOPPEMENT AGRICOLE et RURAL, d’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; de GESTION SOCIALE et INSTITUTIONNELLE DES RESSOURCES EN EAU et de L’ENVIRONNEME
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